Oulipo | Ouvroir de littérature potentielle
Par Ande POGGI, Conseillère Pédagogique de Regroupement R1 (Malakoff – Vanves, Montrouge – Châtillon, Bagneux)
L’Ouvroir de littérature potentielle, généralement désigné par son acronyme OuLiPo (ou Oulipo), est un groupe international de littéraires et de mathématiciens se définissant comme des « rats qui construisent eux-mêmes le labyrinthe dont ils se proposent de sortir. »
Que font tous ces oulipiens dont certains sont définitivement excusés pour cause de décès ? Selon Marcel Bénabou et Jacques Roubaud, ils font avancer la LiPo en inventant des contraintes.
Au fil des années, trois grandes tendances se sont distinguées dans les vocations oulipiennes. La première consiste à rechercher des structures nouvelles conduisant à des contraintes linguistiques, en particulier autres que les contraintes classiques du sonnet : ces contraintes peuvent être alphabétiques (La disparition de Perec, un roman d’où la lettre e est exclue).
Deuxième tendance, les recherches de transformations ou d’écritures automatiques dont la méthode S + 7 de Lescure est un exemple : à partir d’un texte bien choisi, on remplace tout substantif par le 7e qui le suit dans un dictionnaire donné. Queneau a ainsi produit La cimaise et la fraction à partir de La cigale et la fourmi. La fabrication de poèmes, du type centons (un poème constitué de vers emprunté à d’autres).
Enfin, la troisième vocation, celle qui nous intéresse ici, est la transposition, dans le domaine des mots, de concepts venus de diverses branches des mathématiques. Par exemple, Queneau multiplie deux matrices littérales de 3 × 3 éléments avec des mots choisis pour leur sens et leurs possibilités syntaxiques :
Selon la règle de multiplication de deux matrices, on lit (pour la première ligne du produit) : « Le chat a mangé le poisson – le rat a dévoré le fromage – le lion a dégusté le touriste. » Nous verrons dans cet article quelques œuvres qu’ont pu inspirer l’analyse combinatoire, la théorie des graphes ainsi que l’algèbre de Boole.
Les mathématiciens de haute volée, Claude Berge dès l’origine et un peu plus tard Jacques Roubaud ou l’informaticien Paul Braffort, ont aidé et accompagné les autres membres de l’OuLiPo, parfois en répondant à leur demande d’outils, mais aussi, souvent, en leur en proposant. Queneau avait parlé de mathématiques dans ses Exercices de styles, (ensembliste, géométrique, probabiliste…) sans pour autant utiliser l’outil.
Cent mille milliards de poèmes
En 1961, Raymond Queneau publie Cent mille milliards de poèmes, un petit ouvrage de dix sonnets dont chaque strophe est découpée pour pouvoir se combiner aux autres. La meilleure des explications reste une photo :
Mais voici tout de même quelques explications :
Raymond Queneau a conçu cet ouvrage Cent mille milliards de poèmes de telle sorte que chacune des quatorze pages soit découpée en dix bandes indépendantes, chaque bande portant un unique vers. Sur chaque page, on choisit un vers, il y a dix choix possibles. Ce choix fait, on passe à la page suivante, dix autres vers sont disponibles pour former le second vers du poème. Le processus se poursuivant, un petit calcul de dénombrement montre aisément que l’on peut former 10×…×10=1014 poèmes distincts. Selon les mots mêmes de Queneau dans sa préface, « Ce petit ouvrage permet à tout un chacun de composer à volonté cent mille milliards de sonnets, tous réguliers bien entendu. C’est somme toute une sorte de machine à fabriquer des poèmes, mais en nombre limité ; il est vrai que ce nombre, quoique limité, fournit de la lecture pour près de deux cents millions d’années (en lisant vingt-quatre heures sur vingt-quatre). »
Exercices de style
Dans Exercices de style, Raymond Queneau raconte 99 fois la même histoire, en jouant sur la façon de les raconter (le fond prime sur la forme !). Nous nous proposons de rappeler la version originale, puis 3 versions que l’on pourrait qualifier de mathématiques !
Version originale
Dans l’S, à une heure d’affluence. Un type dans les vingt-six ans, chapeau mou avec cordon remplaçant le ruban, cou trop long comme si on lui avait tiré dessus. Les gens descendent. Le type en question s’irrite contre un voisin. Il lui reproche de le bousculer chaque fois qu’il passe quelqu’un. Ton pleurnichard qui se veut méchant. Comme il voit une place libre, il se précipite dessus.
Numérique
A 12h17 dans un autobus de la ligne S, long de 10 mètres, large de 2,1, haut de 3,5, à 3 km 600 de son point de départ, alors qu’il était chargé de 48 personnes, un individu de sexe masculin, âgé de 27 ans, 3 mois, 8 jours, taille 1m72 et pesant 65 kg, et portant sur la tête un chapeau de 17 centimètres, dont la calotte était entourée d’un ruban long de 35 centimètres, interpelle un homme âgé de 48 ans 4 mois 3 jours, taille 1 m 68 et pesant 77 kg, au moyen de quatorze mots dont l’énonciation dura 5 secondes et qui faisaient allusion à des déplacements involontaires de 15 à 20 millimètres. Il va ensuite s’asseoir à quelque 2 m 10 de là.
Géométrique
Dans un parallélépipède rectangle se déplaçant le long d’une ligne droite d’équation 84x+S=y, un homoïde A présentant une calotte sphérique entourée de deux sinusoïdes,au-dessus d’une partie cylindrique de longueur l>n, présente un point de contact avec un homoïde trivial B. Démontrer que ce point de contact est un point de rebroussement.
Si l’homoïde A rencontre un homoïde analogue C, alors le point de contact est un disque de rayon R>1. Déterminer la hauteur h de ce point de contact par rapport à l’axe vertical de l’homoïde A…
Ensembliste
Dans un autobus S considérons l’ensemble A des voyageurs assis, et l’ensemble D des voyageurs debout. A un certain arrêt, se trouve l’ensemble P des personnes qui attendent. Soit C l’ensemble des voyageurs qui montent; c’est un sous-ensemble de P et il est lui-même l’union de C’ ensemble des voyageurs qui restent sur la plate-forme et de C » l’ensemble des voyageurs qui vont s’asseoir. Démontrer que l’ensemble C » est vide.
Z étant l’ensemble des zazous, et z l’intersection de Z et de C’, réduite à un seul élément. A la suite de la surjection des pieds de z sur ceux de y (élément quelconque de C différent de z), il se produit un ensemble M de mots prononcés par l’élément z. L’ensemble C » étant devenu non vide, démontrer qu’il se décompose de l’unique élément z…